Je découvre depuis quelques temps les joies du service.
Naaaan, pas du service militaire, non, ni du service de bonne, mais du service tout court : bonjour, que puis-je faire pour vous? Une tarte aux figues du Canada? Vous lécher les pieds? Torcher les fesses de votre petit monstre?
Bref.
Je suis serveuse quoi.
Ce qui signifie des séquelles récurentes au moins du samedi soir au lundi matin au niveau des pieds (douloureux), des jambes (désarticulées), du dos (cassé), des bras (courbaturés), des mains (gonflées griffées brûlées), du moral (chute libre), etc...
C'est varié, comme boulot, remarquez. Parfois, c'est très drôle, d'autre fois il vaut mieux rire parce que sinon tu pleures, et d'autres fois encore c'est très chiant.
# par exemple quand ça fait une semaine que tu n'as pas bougé de la plonge, le dos courbé sur l'évier et les mains constament dans la flotte, la tête au dessus de la machine à encaisser le nuage de vapeur, alors que t'es violoniste et que les mains, c'est précieux, et que tu es la plus grande et la seule qui se casse le dos quand elle est à la plonge. Bref... les joies du début... et de la suite! #
Plusieurs types de clients viennent se presser au portillon pour prendre leur petit moment tranquille dans cette boutique chic parisienne.
Il y a les stars. Les trombines connues. Certains habitués très gentils, attentionnés, bien élevés, avec des enfants souriants et plutôt sages, viennent ici pour déjeuner tranquillement ou chercher une bonne baguette l'esprit tranquille. Ce n'est pas ici qu'on viendra les faire chier ; d'autres viennent pour faire du bruit, montrer leurs lunettes noires, traiter les gens comme de la merde et exiger la lune rien que pour pouvoir nous gueuler dessus parce qu'on ne peut pas leur lui filer, cette putain de lune. Rien d'extraordinaire jusque là, vous connaissez sans doute la routine.
Il y a les riches. Ceux qui ont le fric et qui s'en foutent. Les enfants qui courent partout (alors que ce n'est déjà pas très grand) en criant, qui s'arrêtent net devant la vitrine du traiteur avec des yeux ronds, et qui, se tournant brusquement vers leur maman, se mettent à émettre un son rauque et gourmand en pointant d'un doigt dodu un gâteau au fruits confits. La maman de dire : "tu en veux, mon chou? ah. mademoiselle, une tranche pour mon fils" (s'il vous plait : en option) On vient ensuite prendre la commande (pour maman bébé et mère grand) : oeufs brouillés, grand jus pressé pour le gamin (s'il arrive à tout boire, je le fais danser sur le bar sous les yeux du patron), avec une tisane pour pas trop l'exciter (tiens, un peu de bon sens... étrange), des cannelés, des tartines, un toast beurré, un cappuccino, un café latte, deux parts de gâteau, un croissant, une chocolatine, une brioche à emporter, un expresso, etc...
Au fur et à mesure que j'apportais les plats sur la table, le gamin devenait de plus en plus intenable # "tu fais tomber cette théière à 150€, je te défonce la tête mon petit" # et retournait devant la vitrine pour choisir d'autres mets délicieux. La maman commandait au fur et à mesure. Et une paille, et une serviette, et d'autre confiture, et d'autre truc, et machin, et chose, je n'avais jamais vu ça.
Puis ils se mettent enfin à manger. La grand-mère sert une tasse de tisane à son petit fils, et constate que, bah oui madame, c'est chaud, donc elle m'appelle. Mais oui madame, je vous apporte un pot d'eau froide tout de suite. "ah mais non, sinon ça va allonger sa tisane, ça n'va pas, apportez moi plutôt une autre tasse, que je puisse transvaser, vous voyez, hein, tchouf, tchouf! ahahah!"
Imaginez deux secondes la tête des deux nanas au bar quand je suis allée leur demander une autre tasse pour le gosse : elles avaient de la vaisselle jusque pardessus la tête, des clients partout dans la boutique qui attendaient que les places se libèrent, une machine de verres à sécher, 30 cafés à faire couler, 20 oranges à presser, etc. Alors donner une tasse supplémentaire qui plus est en hiver quand tout le resto commande un thé ou une tisane à l'unisson, et quand on a autre chose à faire que de la vaisselle, tout ça pour un gosse insupportable de 5 ans...
Mais, rassurez-vous, il y a aussi les riches gentils. Ceux qui sont gentils avec les serveuses, qui viennent de temps en temps manger au bar pour discuter avec la responsable. La fille est bien élevée, le seul tort qu'on pourrait lui trouver est de faire des bulles dans son lait avec sa paille. Jusque là rien de grave. Et puis la maman raconte, parle culture, et puis nous arrivons au sujet de la crise financière : "Je vais pouvoir dire à mon amie qui fait ses courses au Bon Marché qu'elle n'a plus qu'à aller à Monoprix! hahahouhouhaha". "Moi qui faisais mes courses au ED, je vais pouvoir marcher un peu plus loin jusqu'au LIDL! hahahouhouhaha!"
Bref, elle n'a pas fait exprès, et c'est dans ces cas là que l'on rit un peu jaune.
Il y a aussi les gens étonnants de connerie et d'irrespect, qui arrivent à 5 et prennent 4 tables (soit plus de 1/5eme de la boutique), en mettant sacs et manteaux sur les chaises alentour, les gamins braillards, qui commandent un expresso et un muffin en tout et pour tout, qui sortent de leur sac le gâteau énorme de la boutique concurrente et des barres sucrées venant de l'épicerie du coin pour les enfants... et le temps de compter jusqu'à cinq, les fleurs dans la boutique sont déjà effeuillées.
Là, le patron, sans s'énerver, donne à la serveuse l'addition à apporter en même temps que le café et l'expresso "qu'ils comprennent et qu'ils se barrent vite"...
Prochain épisode, je parle de l'équipe !